Avec l’Ad Tech, les acteurs du marketing sur Internet agrandissent une fois de plus le dictionnaire de leur jargon professionnel. Derrière ce terme peu évocateur se cache en fait une révolution, encore mal comprise, dans la façon de penser la publicité.
Résultat : un retard de la part des annonceurs et des investisseurs pour se lancer sur ces nouveaux canaux et travailler autrement. Le monde publicitaire s’est construit autour d’un vieil adage : Je sais que la moitié de mes dépenses publicitaires est inutile, le problème est que je ne sais pas de quelle moitié il s’agit.  Aujourd’hui, cette théorie est obsolète. Explication :

Commençons par un exercice de pensée : Vous vous trouvez à un arrêt de bus, devant un panneau publicitaire. Imaginez que ce panneau soit capable de connaitre vos centres d’intérêt, votre niveau de revenus, l’itinéraire de vos déplacements, ainsi que vos réactions aux précédentes publicités auxquelles on vous a exposé.

Et si la publicité connaissait vos pensées?

Lorsque votre bus arrive, le panneau note votre intérêt pour la publicité. L’avez-vous regardé longuement ? Avez-vous finalement acheté le produit présenté sur le panneau ? Ces informations détermineront alors la prochaine publicité que le panneau vous affichera.

En 2017, un tel scénario tenait encore de la science-fiction (mais plus pour longtemps).  Sur internet, c’est aujourd’hui la réalité. Ce mode de fonctionnement est au cœur de la révolution qui agite la publicité en ligne depuis bientôt deux ans. On parle d’Advertising Technologies ou Ad Tech.

Comment fonctionne l’Ad Tech, et de quoi s’agit-il ?

Dans un marché publicitaire « classique », un éditeur ou une régie vend des espaces à une agence ou directement à un annonceur. Ces espaces sont définis, le cadre et la nature de la diffusion sont déterminés à l’avance. En tant qu’annonceur, on sait très bien dans quel magazine on a acheté une demi-page, ou sur quelle chaine notre spot sera diffusé.

En ligne, ce mode de fonctionnement a été bousculé par l’apparition des Ad Tech, dont une définition possible est « l’ensemble des technologies et méthodes permettant d’automatiser et/ou de programmer l’achat et la vente d’espaces publicitaires en ligne, et de données permettant leur exploitation et d’en suivre les résultats avec une grande précision. »

L’exemple le plus criant est celui du RTB (Real Time Bidding). En résumé, il s’agit de l’achat en temps réel d’espaces publicitaires, au gré de la navigation de l’internaute. Ce canal est loin d’être le seul champ d’application de l’Ad Tech, mais en donne une bonne représentation.

Aujourd’hui, les bannières des sites médias ne sont pas déterminées à l’avance : leur contenu est choisi à votre arrivée sur le site, en quelques centièmes de seconde.

Un exemple ?  Vous vous connectez sur le site d’un grand quotidien généraliste. En page d’accueil se trouve un emplacement pour un bandeau publicitaire. L’acteur gérant la bannière va alors mettre aux enchères, sur des plateformes dédiées, le droit d’afficher une publicité à l’internaute que vous êtes.

Or votre navigation et vos réactions aux précédentes publicités donnent de nombreuses informations à ces partenaires. Toujours dans le cadre de cet exemple, on sait de vous que vous êtes un homme de plus de 40 ans habitant en zone urbaine, intéressé entre autres par le football et les marchés financiers. En effet, vous naviguez entre L’équipe.fr et Boursorama, et vous avez donné votre date de naissance de nombreuses fois en remplissant différents formulaires.

Certains annonceurs sont alors prêts à enchérir sur votre profil un montant déterminé à l’avance. On peut imaginer que sur un tel profil, une publicité pour une marque de montres ou un produit bancaire soit par exemple affichée. A l’inverse, jamais ne s’affichera une publicité pour un jeu vidéo destiné à une cible plus jeune, ou des produits exclusivement féminins.

C’est là qu’est la différence centrale. Combien dépensent, chaque année, les acteurs du secteur automobile pour diffuser leurs publicités auprès de personnes qui n’ont pas le permis et ne l’auront jamais ?

Ad Tech : ce qu’il y a sous le capot

Comment tout ce système fonctionne ? Cette méthode repose sur des acteurs, appelés SSP et DSP. Respectivement « Sell-Side » et « Demand -Side » Platform. De nombreux acteurs « intermédiaires » interviennent également, notamment les DMP (Data Management Platform) et les Adexchange. On trouve également, j’y reviendrai plus loin, des acteurs qui ont uniquement un rôle de contrôle et de vérification de ces relations.

Cet article n’a pas vocation à dresser un tableau exhaustif du paysage de l’Ad Tech, qui a commencé à se former entre 2011 et 2012. En effet, voici à quoi ressemble ce dernier :

Adexchange, trading desk, SSP, Retargeter, Vérification publicitaire, DMP, Retargeter… Ce n’est que le début de la liste des acteurs qui composent le secteur de l’Ad Tech. Dans certaines typologies, certains acteurs se recoupent, se confondent, et la définition des rôles de chacun est encore l’objet de débats très animés.

Pour qui n’est pas professionnel du Web, ce paysage est peu lisible. En restant synthétique, on peut tout de même dégager des grandes typologies d’acteurs :

Les SSP et les DSP sont les deux faces d’une même pièce. Ces acronymes évoquent des plateformes, l’une coté « demande » (Demand Side Platform) et l’autre côté « offre » (Sell Side Platfform). Ces plateformes permettent respectivement aux éditeurs d’automatiser et d’optimiser la mise en vente de leurs espaces publicitaires et aux annonceurs d’optimiser et piloter leur stratégie d’enchères automatisées.

Aussi, on intègre le plus souvent les solutions dites « Analytics » ou « Tracking » à la grande famille de l’Ad-Tech. Ces solutions techniques permettent le comptage, la mesure, et le contrôle de la diffusion par des tiers de confiance.

Enfin, les Trading Desk sont des plateformes permettant de tels échanges commerciaux, tout en intégrant des possibilités de collaboration avec d’autres acteurs. Parmi eux, on trouve les Data Management Platform (DMP), qui ont pour unique but d’enrichir les données possédées par les annonceurs, afin d’arriver à des ciblages toujours plus pertinents.

Dans le secteur des Ad Tech, les données dont vous disposez sur les internautes ont une valeur au même titre que les espaces publicitaires eux-mêmes. Par exemple, un annonceur cherchant à cibler des médecins pourra préférer acheter des données permettant de s’adresser à ce corps professionnel via le Real Time Bidding, plutôt que d’acheter directement des espaces publicitaires à des prix prohibitifs sur un site spécialisé.

Tous ces acteurs sont autant d’intermédiaires entre l’annonceur et le site média où seront affichés les bannières. Chacun a un rôle, une valeur ajoutée, et un coût correspondant. D’après Les Echos, on arrive en moyenne à la répartition suivante de l’investissement initial de l’annonceur :

Schéma inspiré des Echos, selon des chiffres de WFA

La notion d’Ad Tech est-elle bien utile ?

Oui, car elle permet de mettre un nom sur ce changement en profondeur.

La publicité online, via l’Ad Tech, a vocation à dominer de plus en plus les autres leviers publicitaires. Cela n’est pas uniquement dû à la consommation toujours plus importante de ce média. Cela viendra surtout du fait que les méthodes pour faire de la publicité sur ledit média sont objectivement supérieures, comme expliqué précédemment.

En termes d’impact, les mots d’Audrey Soussan résument parfaitement la situation : l’Ad Tech est à la publicité en ligne ce qu’a été l’informatique aux marchés financiers.

Donc, tout va bien dans le meilleur des mondes pour les annonceurs ?

Pas encore. Comme tout secteur, l’Ad Tech fait face à des défis critiques. Un problème récurrent et déjà très documenté est celui de la fraude. De trop nombreuses impressions et clics seraient effectués non pas par des humains, mais par des logiciels, des « robots ».

Concrètement, il s’agit le plus souvent d’ordinateurs infectés par des virus, qui deviennent autant d’ « esclaves » utilisés par des fraudeurs. Les analyses les plus alarmistes affirment que plus de la moitié des publicités ne sont pas vues par des humains.

Ce problème n’est pas nouveau, et le marché de l’Ad Tech évolue déjà pour proposer des solutions. Certains acteurs ont pour métier de mener des vérifications précises sur les conditions d’affichages, les sites partenaires des réseaux de diffusion, et permettent aux annonceurs une diffusion « saine ».

D’autres difficultés apparaissent à l’horizon, comme par exemple la volonté de la commission européenne de bloquer les cookies publicitaires. Or, ces derniers sont encore la pierre angulaire de la collecte de données, sans lesquelles l’Ad Tech n’existerait pas.

Par des réponses technologiques ou légales, le secteur continuera à croitre, comme le démontrent les investissements d’Oracle et d’Adobe dans le secteur.

En effet, il ne s’agit pas d’un simple effet de mode, ou d’une innovation mineure. Nous sommes face à un véritable changement de paradigme dans la manière de faire de la publicité en ligne. Certains l’ont déjà compris, et vous ?